Chapitre 11 - De l'adolescence de Gargantua.

Gargantua, de ses trois ans jusques à ses cinq ans, fut élevé et éduqué en toutes les disciplines qui convenaient selon les dispositions de son père ; il passa ce temps-là comme tous les petits enfants du pays, c'est à dire à boire, manger et dormir, à manger, dormir et boire, à dormir, boire et manger.

Il se vautrait toujours dans la fange, se barbouillait le nez, se salissait la figure, déformait ses souliers, bayait souvent aux corneilles, aimait à courir après les papillons sur lesquels régnait son père. Il pissait sur ses chaussures, chiait dans sa chemise, se mouchait dans sa manche, laissait couler son nez dans sa soupe, barbotait n'importe où, buvait dans sa pantoufle et se régalait en dépensant son énergie pour rien. Il aiguisait ses dents sur un sabot, lavait ses mains avec du potage, se peignait avec un gobelet, s'asseyait le cul par terre entre deux chaises, se couvrait d'un sac mouillé, buvait en mangeant sa soupe, mangeait sa fouace sans pain, mordait en riant, riait en mordant, crachait souvent au bassin, pétait de graisse, pissait contre le soleil, se cachait dans l'eau contre la pluie, battait froid, songeait creux, faisait le sucré, écorchait le renard, disait la patenôtre du singe, revenait à ses moutons, menait les truies au foin, battait le chien devant le lion, mettait la charrue avant les bœufs, se grattait où ça ne le démangeait pas, tirait les vers du nez, trop embrassait mal étreignait, mangeait son pain blanc le premier, ferrait les cigales, se chatouillait pour se faire rire, ruait fort bien en cuisine, faisait aux dieux offrande de foin, faisait chanter Magnificat à matines et trouvait ça très bien, mangeait des choux et chiait de la poirée, distinguait les mouches dans le lait, faisait perdre pied aux mouches, ratissait le papier, gribouillait le parchemin, perdait pied, prenait de la bouteille, comptait sans son hôte, battait les buissons sans attraper les oisillons, prenait les nues pour des poêles de bronze et les vessies pour des lanternes, avait plus d'un tour dans son sac, faisait l'âne pour avoir du bran, faisait un maillet de son poing, prenait les grues au premier saut, voulait que l'on tricotât point à point les cottes de mailles, à cheval donné regardait toujours les dents, sautait du coq à l'âne, en faisait des vertes et des pas mûres, remettait les déblais dans le fossé, gardait la lune des loups, espérait prendre les alouettes si le ciel tombait, faisait de nécessité vertu, faisait des tartines de même farine, se souciait des pelés comme des tondus, écorchait tous les matins le renard. Les petits chiens de son père mangeaient dans son écuelle et, lui, mangeait avec eux, aussi bien. Il leur mordait les oreilles, ils lui égratignaient le nez; il leur soufflait au cul, ils lui léchaient les badigoinces.

« Et sabez quoy, fillotz ? Le mau de pipe vous byre ! » Ce petit paillard pelotait toujours ses gouvernantes, sens dessus dessous, sens devant derrière, hardi bourricot ! Et il commençait déjà à essayer sa braguette, que ses gouvernantes ornaient chaque jour de beaux bouquets, de beaux rubans, de belles fleurs, de beaux pompons ; elles passaient leur temps à la faire revenir entre leurs doigts comme un bâtonnet d'emplâtre, et puis elles s'esclaffaient quand elle dressait les oreilles, comme si le jeu leur avait plu.

L'une l'appelait mon petit fausset, une autre mon épine, une autre ma branche de corail, une autre mon bondon, mon bouchon, mon vilebrequin, mon piston, ma tarière, ma pendeloque, mon rude ébat raide et bas, mon dressoir, ma petite andouille vermeille, ma petite couille bredouille.
« Elle est à moi, disait l'une.
– C'est la mienne, disait une autre.
– Et moi, je n'y aurai pas droit ? disait une autre. Ma foi, je vais donc la couper !
– Ah ! la couper ! disait une autre, vous lui feriez mal, madame ; coupez-vous la chose aux enfants ? On l'appellerait monsieur tout court ! »
Et pour qu'il s'amuse comme les petits enfants du pays, elles lui firent un beau tourniquet avec les ailes d'un moulin à vent de Mirebeau.

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